Muriel Barbier, conservateur en chef du patrimoine et directrice du patrimoine et des collections , nous dévoile en exclusivité les grands projets dédiés à l’enrichissement du château pour les années à venir…
« Les Amis du château de Fontainebleau » : Muriel Barbier tout d’abord un grand merci de nous recevoir pour cet entretien avec les Amis du château de Fontainebleau. Vous êtes conservateur en chef du patrimoine et directrice du patrimoine et des collections pouvez-vous nous préciser en quoi consiste ce poste à larges responsabilités ?
Muriel Barbier ©château de Fontainebleau/Serge Reby
« Muriel Barbier » : Ce poste consiste à encadrer une équipe de 22 personnes qui regroupe plusieurs services : le collège des conservateurs qui compte cinq conservateurs du patrimoine, le service de la Régie des œuvres (également 5 personnes) le centre de ressources scientifiques (CRES) et les ateliers ébénistes et tapissiers.
La direction du patrimoine et des collections est une des directions statutaires de l’établissement définie dans l’arrêté de création de l’établissement public du château de Fontainebleau en 2009. En tant que directrice du patrimoine et des collections, je suis responsable de la conservation, de la protection, de la restauration, de la gestion, de la mise en valeur et de la présentation au public des collections inscrites sur les inventaires du Musée national du château de Fontainebleau, ainsi que de l’étude scientifique desdites collections et de l’architecture des bâtiments, des parcs et des jardins. Je participe à la présidence de l’établissement avec la présidente et l’administratrice générale. C’est un poste de pilotage qui doit accompagner l’établissement pour ce qui concerne la conservation et la préservation des collections et du bâtiment.
ACF : Lors de notre Assemblée générale en avril dernier vous avez présenté le projet scientifique et culturel, « PSC », que l’établissement public du château était en train de mettre en œuvre .Pouvez rappeler à nos lecteurs ce qu’est un PSC, sa finalité et surtout l’intérêt d’un tel projet pour le visiteur ?
MB : Les Projets scientifiques et culturels existent depuis peu de temps dans les musées. Ils ont émergé à la suite de la loi sur les musées de France de janvier 2002 qui cadre le fonctionnement des établissements que sont les musées.
Les PSC sont des documents de stratégie et de pilotage : ils permettent à la fois à la tutelle d’un musée de valider des axes d’orientation sur le contenu – ce que l’on propose aux visiteurs – et il permet aussi aux équipes d’organiser leur travail et de se donner des caps. Les PSC, rédigés pour 10 ans, aident à fixer des objectifs sur le long terme et à fixer une politique culturelle tant sur le plan scientifique que sur le plan de la médiation.
Le PSC est orienté en deux parties :
– un bilan sur l’historique du site, sur la constitution des collections et ce qui a déjà été accompli. À partir de ce bilan des axes de travail sont ainsi clairement déclinés. Ils vont d’abord dans le sens des missions primordiales d’un musée : la conservation, l’étude et la restauration des collections.
– une deuxième partie développe la valorisation de ces collections et de ces lieux à destination de tous les publics, qu’ils soient spécialistes ou amateurs. Tous les visiteurs, jeunes ou moins jeunes, sont pris en compte dans un projet scientifique et culturel. Cela permet de décliner ensuite des activités qui leur sont proposées dans le domaine des ateliers, des visites guidées, de développement multimédia, de programmation culturelle et tous les supports que l’on peut trouver dans un établissement comme le nôtre.
ACF : Pouvez-vous nous préciser ce que couvre la gestion de collections ?
MB : Par gestion des collections on entend tout ce qui a trait à la vie de l’œuvre, à partir de son entrée dans les collections, son acquisition, et d’ailleurs le projet scientifique et culturel propose une politique d’acquisition pour les années à venir. La gestion des collections comprend le suivi de la collection déjà existante, c’est ce que l’on appelle le récolement d’inventaire qui est encadré – lui aussi par le code du patrimoine et par la loi musée de janvier 2002. C’est une obligation légale demandant à tout gestionnaire de collection de donner un chiffrage et un état précis de l’ensemble des œuvres conservées à un moment donné dans le musée.
Gérer les collections c’est également s’assurer du bon état de conservation de tout l’ensemble donc agir sur la conservation préventive c’est à dire se concentrer sur les effets de l’environnement sur les œuvres, s’intéresser aux problématiques de climat, d’éclairage, d’empoussièrement, toutes les altérations qui peuvent arriver de l’extérieur sur un objet et lorsque cela est nécessaire aller au-delà de la conservation préventive, en programmant des restaurations pour redonner à l’ œuvre un état remédiant aux altérations qu’elle a pu subir.
La politique d’acquisition de l’établissement :
Dans le projet scientifique et culturel du château de Fontainebleau, les acquisitions sont prévues pour aller dans deux directions :
- acquérir des œuvres qui sont passées par le château de Fontainebleau ou qui documentent un état du château, quelles que soient les périodes retenues ;
- enrichir le Musée Napoléon Ier, se concentrer essentiellement sur le Premier Empire.
Ces deux axes sont suivis depuis plus d’une vingtaine d’années maintenant.
ACF: Quelle est la place du Musée Napoléon Ier dans le panorama des musées nationaux ayant trait au Ier et au IIe Empire ? et quels sont les projets concernant ce musée de Fontainebleau ?
MB : Le musée Napoléon Ier de Fontainebleau est né de la dation de la famille impériale faite à l’État en 1979 et a été inauguré en 1986 sur deux niveaux, rez-de-chaussée et 1er étage de l’aile Louis XV. Cette dation comportait des œuvres qui couvraient tout le XIXe et qui permettait de documenter la période chronologique allant du Directoire au Second Empire.
Lorsque l’État français s’est trouvé bénéficiaire de cette dation, le ministère de la Culture a choisi de répartir les collections sur trois sites : la période se situant avant l’Empire, c’est à dire le Directoire et le Consulat, et bien après l’Empire, c’est-à-dire la mémoire, le souvenir napoléonien, sont évoqués au château de Malmaison autour de la figure phare de Joséphine. Le Premier Empire stricto sensu de 1804 à 1814 et tout le système administratif et politique mis en place par Napoléon Ier est évoqué à Fontainebleau, et enfin le château de Compiègne est dédié au Second Empire. Ainsi chaque lieu a vraiment une direction scientifique très précise et le ministère de la Culture veille à ce que chacun suive cette direction issue de la répartition de la dation.
Aujourd’hui le musée Napoléon Ier, riche de près de 1 400 œuvres, est un fonds très important au sein de l’établissement public du château de Fontainebleau. Cependant l’aménagement au rez-de-chaussée de nouveaux espaces d’accueil nécessaires pour faciliter l’accès du site au public et offrir un meilleur confort de visite, a retiré tout un niveau à ce musée. Bernard Collette, qui nous a quitté l’été dernier et qui était l’architecte en chef des Monuments historiques du château dans les années 1980 avait commencé des travaux au deuxième étage de l’aile Louis XV. Ces travaux sont restés inachevés jusqu’à ce jour et ce deuxième étage actuellement en friche est un espace idéal pour redéployer le musée Napoléon Ier. Nous allons pouvoir redonner de la respiration aux collections du musée Napoléon Ier et surtout sortir des œuvres actuellement en réserve. L’autre but de ce projet d’extension est de rendre le musée plus accessible à un public plus large, en étant assez didactique dans le déroulé de cette marche à la conquête de l’Europe dans laquelle s’était lancé Napoléon Ier et de montrer également à quel point les arts ont servi la politique sous l’Empire. Tout le travail de programmation de ce musée est en cours. Le programmiste, Philippe Dangles, retenu en juin 2023, travaille main dans la main avec Christophe Beyeler, le conservateur en charge du musée.
L’objectif est de pouvoir amorcer les travaux en 2026 avant de vider entièrement le musée qui sera provisoirement déménagé vers le centre de conservation des collections, lancer les travaux et à partir de 2028 de réinstaller toutes les œuvres et de rouvrir au public. Notre objectif est ainsi d’ouvrir en décembre 2028 un musée complètement rénové.
ACF : Ce grand chantier du musée Napoléon Ier de 2026 à 2028 en cache vraisemblablement d’autres tout aussi importants pour les années à venir. Quels sont-ils ?
MB : L’extension du musée Napoléon 1er est inscrite au schéma directeur immobilier de l’établissement. Ce schéma consiste à lancer de grands travaux de rénovation, de sécurisation de certains espaces qui touchent surtout les couvertures, les espaces d’accueil, le confort de visite, la mise aux normes en termes de sécurité et de sûreté. Mais ce schéma directeur permet aussi de travailler sur des questions plus muséographiques, c’est le cas du musée Napoléon Ier. Et c’est aussi le cas du centre de conservation des collections.
Ce bâtiment – ce centre de conservation des collections – est en cours d’aménagement. Il se situe sur l’ancien site des Archives nationales le long de la route militaire à Fontainebleau. Nous avons pu bénéficier d’un bâtiment que les Archives nationales ont quitté lorsqu’elles ont déménagé leurs activités à Pierrefitte-sur-Seine. Ce bâtiment nous servira à conserver dans de meilleures conditions les collections en réserve puisqu’actuellement le château compte une centaine de lieux de réserve dispersés dans tous les espaces : les entresols, les combles, la cour des Princes… Ces espaces ne sont pas réellement aux normes de conservation, de climat, de température pour les collections que nous conservons.
Le centre de conservation constituera par conséquent un grand pas en avant pour la modernisation des réserves. Et avant d’y entrer, les œuvres vont passer dans ce qu’on appelle un chantier de collection : c’est notre deuxième grand projet mais qui est étroitement imbriqué avec le musée Napoléon Ier et avec le centre de conservation. En effet dans de nouvelles réserves, on évite de faire entrer des collections qui sont en mauvais état ou infestées par des vrillettes, des mites,… Il faut alors préparer ces collections pour qu’elles soient dans le meilleur état possible et le plus facile à gérer. Une grande chaîne de traitement permettra de faire passer chaque œuvre sur différents postes de travail : prise de mesures, reprise de photographie, vérification du marquage et du numéro d’inventaire, petites opérations de restauration, traitement par anoxie qui permet de tuer tous les nuisibles, dépoussiérage et reconditionnement, puis enfin rangement dans les nouveaux rayonnages.
C’est un vaste chantier qui s’offre à nous dans le cas du musée Napoléon Ier comme du centre de conservation, nous sommes accompagnés par l’OPPIC, l’opérateur du patrimoine et des projets immobiliers de la culture, en délégation de maîtrise d’ouvrage.
Pour le chantier des collections, nous avons une assistance à maîtrise d’ouvrage en la personne de Stéphanie Likès (société ASK), une grande spécialiste de conservation préventive et de la restauration qui mène actuellement avec son équipe le diagnostic sur toutes les œuvres que nous devons déménager.
La machine est donc en marche, et nous devrions intégrer le centre de conservation à partir de juin 2025, les premiers mouvements d’œuvres devant se faire à ce moment-là, et s’échelonner jusqu’à 2026, puis à partir de 2026, le musée Napoléon Ier qui prendra le relais au centre de conservation et on aura de nouveau un jeu de chaises musicales en 2028 !
ACF : Le 6 avril lors de l’assemblée générale, vous nous aviez présenté un projet de mise en ligne de toutes les collections du château, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
MB : La gestion des collections se fait de manière informatique depuis de nombreuses années, la base de données s’appelle FOLIA, pour « Fontainebleau Œuvres Livres Images Archives ».
Cette base de données est répartie en plusieurs onglets :
– un onglet concernant les œuvres des collections. Au total, on estime la collection à 34 000 œuvres dont aujourd’hui 32 000 sont dans la base.
– un onglet dédié aux livres puisque le château de Fontainebleau conserve 3 bibliothèques patrimoniales : la bibliothèque particulière de l’empereur qui est dans les petits appartements, la bibliothèque centrale du château qui se trouve dans la galerie de Diane et la bibliothèque Serlio.
Tous ces ouvrages sont ainsi répertoriés dans la base de données documentaires. Le château a en outre la chance de conserver ses propres fonds d’archives pour le XIXe siècle notamment pour tous les travaux d’architecture. Ces documents qui sont un complément essentiel de ce que l’on peut trouver aux Archives nationales sont eux aussi répertoriés dans la base FOLIA.
– un onglet dédié aux images : toutes les photographies prises dans le château que ce soit des œuvres, des décors, des événements, photographies anciennes et plus récentes,
– un onglet destiné aux éléments d’architecture et aux décors architecturaux, qui permettent d’avoir une base sur la partie liée aux bâtiments et à leur histoire.
Aujourd’hui cette base n’est consultable que par les équipes du château en interne, c’est notre outil de travail. Avec le prestataire, la société Skinsoft, qui nous a fourni cet outil, nous œuvrons pour que la base soit accessible en ligne à partir du site internet du château par un lien qui permettra à l’internaute de mener des recherches dans cette manne d’œuvres et de documents, de préparer sa visite ou de poursuivre sa visite chez lui en trouvant des informations complémentaires sur certains objets ou sur certains éléments d’architecture.
ACF : Alors tout cela est très excitant et nous avons tous envie d’aller voir dès la mise en ligne, que j’imagine dans un avenir proche…
MB : Les derniers problèmes techniques sont maintenant résolus et nous devrions pouvoir assurer une mise en ligne de la V1 dans le courant du mois de mai donc tout bientôt, et une deuxième version sera rapidement enclenchée durant le 3e trimestre de cette année.
ACF : Quelle est l’importance d’avoir aujourd’hui d’un tel portail pour toutes ces œuvres?
MB : Un établissement patrimonial comme le château de Fontainebleau se doit de rendre ses collections accessibles via internet, que ce soit pour les chercheurs qui préparent leur travail en amont ou pour un plus large public qui a soif d’information, a besoin de découvrir plus, de se poser des questions avant et après sa visite. Tous les grands musées nationaux et internationaux, que ce soit le Louvre, le musée d’Orsay, le Victoria and Albert Museum de Londres proposent aujourd’hui une base de données accessible à tous avec des photographies de qualité, souvent une bibliographie, un petit descriptif, les éléments principaux pour faire découvrir leurs collections au public. C’est donc un élément essentiel pour exister plus largement que par un seul accès physique. Bien sûr l’accès à la base ne remplacera jamais l’expérience d’une visite dans les salles du château qui est toujours un moment d’émerveillement mais cette base constitue un complément avant ou après la visite, et un outil pour les étudiants et les chercheurs.
ACF : Merci Muriel Barbier pour toutes ces explications. On comprend à l’issue de cette entrevue que vous entreprenez des chantiers d’une ampleur extrême pour les quelques années à venir.
Cela est tout à fait enthousiasmant pour tous les Amis du château, et l’on pourrait se demander quelle place restera pour d’autres réalisations ?
MB : Parallèlement à ces grands chantiers, nous maintenons une activité scientifique et de recherche que l’on souhaite tous de haut niveau, pour toujours mieux connaître ce château et mieux le faire comprendre aux visiteurs en associant des universitaires mais également des étudiants : nous maintenons toujours de très beaux partenariats avec l’École du Louvre et l’Institut national du patrimoine. Nous organisons des colloques qui permettent au château de Fontainebleau de conserver toute sa place au sein de la communauté des historiens et des historiens de l’art : le prochain se tiendra du 9 au 11 mai sur les chantiers au XVIe siècle. Nous prévoyons également un colloque autour de l’exposition Jean-Baptiste Oudry. De même, nous maintenons une programmation d’expositions exigeante et ambitieuse avec au mois d’octobre l’exposition Jean-Baptiste Oudry peintre « de courre », en 2026 une exposition sur Louis XVI et Marie-Antoinette à Fontainebleau, en 2027 une exposition sur Fontainebleau et l’eau, et ces expositions permettent à chaque fois de découvrir et de partager d’autres facette du château. C’est une programmation qui s’inscrit en outre dans un champ de manifestations encore plus large à destination de tous les publics, que ce soient les reconstitutions napoléoniennes qui ont eu lieu récemment, et le festival de l’histoire de l’art du 31 mai au 2 juin qui nous place au cœur de cette belle discipline qu’est l’histoire de l’art.
Merci à vous pour cet entretien. J’espère que – comme moi – les Amis du château de Fontainebleau se réjouissent des perspectives que nous venons d’esquisser ensemble.