Une entrevue exclusive avec Vincent Cochet, conservateur en chef du château de Fontainebleau, à propos de l’exposition “portraits d’un château” – Les Amis du Château de Fontainebleau

Une entrevue exclusive avec Vincent Cochet, conservateur en chef du château de Fontainebleau, à propos de l’exposition “portraits d’un château”

« APPRENONS, COMME TOUS CES ARTISTES AVANT NOUS, A REGARDER LE CHATEAU DE FONTAINEBLEAU ! »

Vincent Cochet. Conservateur en chef du château de Fontainebleau

Amis du Château de Fontainebleau:

Monsieur Vincent Cochet Bonjour, vous êtes le commissaire de l’exposition actuelle : « Fontainebleau, portraits d’un château », que l’on peut découvrir dans l’aile de la Belle Cheminée jusqu’au 25 mars 2024. Voudriez-vous nous en détailler les richesses en nous rappelant le rôle du commissaire de l’exposition ?

Vincent COCHET : En tant que conservateur en chef du patrimoine, mon rôle est de construire le propos scientifique de ce parcours d’exposition en sélectionnant les œuvres, en les organisant et en « jouant le rôle de chef d’orchestre » dans la préparation de cette mise en espace des œuvres et du discours. Une telle organisation mobilise également un scénographe, un graphiste et les équipes du château tels que la Régie des œuvres pour la préparation, la restauration et l’encadrement des œuvres exposées.

ACF : cela représente sans doute un travail considérable…

VC : … oui mais finalement plus court que prévu puisque nous avons commencé il y a à peine un an et demi, ce qui en soi n’est pas très long lorsqu’il faut étudier près de 250 œuvres, soit la sélection, au départ plus ambitieuse, de notre exposition.

ACF : 250 œuvres sélectionnées parmi… ?

VC : …parmi plus de 5000, sachant que nous avons en réalité deux fonds distincts. J’ai volontairement présenté dans la salle d’exposition de la salle de la Belle Cheminée 250 œuvres issues du fonds de collection à proprement parler du château, c’est à dire tout ce qui est rentré dans les collections et inscrit aux inventaires, et nous avons prolongé cette exploration de la représentation de Fontainebleau par la présentation d’un florilège de 27 œuvres au sein des petits appartements ce qui permet de découvrir la galerie des Cerfs. Celle-ci tient une place fondamentale dans le cadre du propos de cette exposition puisqu’elle est une véritable galerie de portraits de maisons royales.

Et ces 27 œuvres sont issues du fonds d’archives du château, généré par les agences d’architecture du château depuis le 19e siècle et qui inclut par chance quelques documents antérieurs, datant de l’Ancien Régime, car comme vous le savez tous les papiers présents au château de Fontainebleau ont été saisis durant la Révolution française et sont aujourd’hui conservés aux Archives nationales.

Anonyme français. Vue de la cour de la Fontaine prise des jardins au château de Fontainebleau.

ACF : Quelle est la genèse de cette exposition ?

VC : cette exposition est une manière de montrer la richesse du fonds d’arts graphiques conservé au château.

Avec plusieurs milliers d’œuvres, ce fonds s’est constitué à partir du début du 20e siècle, avec entre autres l’aide de l’association des Amis du Château puisque l’idée était d’offrir un fonds documentaire dans le cadre de la création du musée historique du château de Fontainebleau. Ce musée n’a jamais été véritablement ouvert mais le fonds de dessins et plus particulièrement de gravures retraçant l’histoire du château en constituait l’essentiel.

Il regroupe des quantités importantes de gravures notamment du XVIIe siècle représentant le château sous toutes ses coutures, mais aussi quelques dessins du 16e siècle dont au moins trois sont aujourd’hui exposés.

Il s’est ensuite enrichi avec des dessins du 19e siècle, notamment parce que tous les architectes passés par Fontainebleau ont eu l’ambition de réaliser une monographie du château en essayant de traduire par le dessin des états qui avaient disparu.

Ce sont ces 2 aspects que l’on a voulu montrer, d’abord dans la salle d’exposition avec 250 dessins hérités des acquisitions depuis les années 1930 jusqu’à aujourd’hui (on peut parler de 100 ans d’acquisition !), ensuite avec la sélection des 27 dessins issus du fonds d’archives (généré par les agences des architectes du palais qui sont des documents conservés au sein du centre de ressources scientifiques du château) et présentés dans les petits appartements, lieux de décisions. Les petits appartements sont le lieu ordinaire de la vie des souverains notamment sous le Premier Empire et c’est dans ce cadre qu’étaient reçus les architectes pour présenter des projets, obtenir l’aval ou l’avis du souverain, des différents services chargés de la gestion du palais. C’est une manière de traduire cette dimension, et à l’issue de la visite des petits appartements, c’est l’occasion pour le public de découvrir ou redécouvrir la galerie des Cerfs qui offre l’illustration la plus extraordinaire de cette dimension de « portraits de château » puisque elle représente sur ses murs un certain nombre de vues cavalières des domaines de la Couronne sous le règne d’Henri IV.

Cette exposition est aussi l’occasion de montrer ces dessins que l’on ne peut pas présenter en permanence, leur support étant un matériau fragile, et parallèlement d’évoquer une fonction importante du dessin qui est l’outil de l’architecte.

ACF : quelle est la finalité du dessin ?

VC : Le statut du dessin est la question qui sous-tend toute la présentation au sein de l’exposition. On peut évoquer différentes utilisations, différentes fonctions :

Le dessin est la transcription visuelle du château en fonction des utilisations que l’on souhaite en faire.

Le dessin est véritablement à la fois un outil de gestion du domaine, des bâtiments, de son réseau hydraulique, on peut évoquer un certain nombre de dessins d’architectes…

Gaston Gélibert (1850-1931) . La chambre de l’Impératrice

Mais le dessin est aussi une manière de mettre en valeur la maison royale de Fontainebleau et là on est plutôt dans une dimension de propagande, de glorification du souverain, mais on peut aussi voir le dessin comme la transcription d’un regard particulier d’artistes qui, venant à Fontainebleau, s’intéressent à l’ornement ou à tel grand décor. Ceux-ci ont voulu en conserver le souvenir en retraçant sur le papier les éléments qui ont retenu leur attention, en allant piocher des détails, c’est le cas des deux dessins de Delacroix exposés.

Et puis le dessin c’est aussi la vision de l’artiste, c’est-à-dire comment Fontainebleau inspire, comment Fontainebleau devient une sorte de lieu presque magique dont les artistes s’emparent pour en faire une œuvre selon leur vision – on ne recherche pas là forcément l’exactitude – et derrière ces différentes approches il y a aussi une dimension commerciale.

Le dessin, bien souvent lorsqu’il est traduit en gravure appartient à de véritables entreprises commerciales gérées par des éditeurs, par des graveurs. Il s’agit justement de répandre l’image de Fontainebleau et de faire fonctionner un commerce, et c’est particulièrement intéressant d’examiner la longévité de certaines gravures : des dessins, des gravures édités dans les années 1650 peuvent encore servir à illustrer des ouvrages dans les années 1720-1760, voire encore au 19e siècle ! Il est assez surprenant finalement de voir des artistes qui ne se déplacent pas à Fontainebleau et qui utilisent des gravures anciennes pour traduire Fontainebleau, mais créent une sorte d’anachronisme qui est, il faut bien l’avouer, particulièrement savoureux.

L’objectif de cette exposition n’est pas de regarder les dessins uniquement comme un appareil purement iconographique et purement documentaire, mais d’apprendre à observer comment chaque artiste traduit Fontainebleau et tout ça en ayant effectivement à l’esprit que cette manière d’observer est liée à la fonction même du dessin : que veut-on faire avec le dessin que l’on produit ? Est-ce un dessin d’architecte, est-ce un dessin d’artiste, est-ce un dessin qui est voué à illustrer une publication ?

Nous avons souhaité présenter tous ces aspects pour montrer les différentes perceptions de ce château.

ACF : et vous avez honoré un artiste, un étudiant américain qui était à Fontainebleau durant les Ecoles d’Art Américaines du mois de juillet,  puisque le dernier dessin, un fac similé, représente la Porte dorée.

VC : Alors ça c’est un clin d’œil, avec une représentation de la porte Dorée par un artiste de la session des beaux-arts de 2012 ; c’est le seul dessin qui n’appartient pas aux collections du château, mais c’est une manière de souligner combien le dessin est encore un des outils de la représentation de Fontainebleau, que sa pratique est encore très vivante par le biais notamment des sessions des Beaux-Arts des écoles d’art américaines chaque année en juillet.

Pierre François Léonard Fontaine (1762-1853 )La cour ovale du château vue depuis la cour des cuisines.

ACF : Comment se construit l’image du château ?

VC : le château de Fontainebleau est considéré depuis quasiment le 17e siècle comme une sorte d’agglomérat de différents bâtiments dont la cohérence est liée en réalité au fonctionnement de la cour. Mais on ne peut pas dire que le château se lise d’une manière très simple et évidente, c’est un lieu complexe, et ce qui est très intéressant c’est que dans le passé notamment au 17e siècle au 18e et encore tardivement au 19e siècle voire au début du 20e siècle, l’icône du château, l’élément le plus représentatif n’est pas celui que l’on pourrait croire : la cour d’honneur avec son escalier en fer à cheval. Mais c’est la cour de la Fontaine, écrin le plus régulier, le plus architecturalement soigné avec cette ouverture sur l’étang et sur le jardin, qui occupe la première place dans les représentations du château. Et cette dimension d’eau, de végétation est extrêmement importante dans l’approche des différents artistes qui ont représenté Fontainebleau.

On s’aperçoit que le château est perçu dans son écrin comme un joyau posé dans son univers végétal avec pour fil conducteur l’eau. L’eau est vraiment la colonne vertébrale de Fontainebleau, tout simplement parce que le château s’est développé en exploitant cette ressource pour faire jaillir des merveilles au sein des jardins, ce sont les fontaines. N’oublions pas que l’origine de Fontainebleau, c’est la « Fontaine Belle Eau » qui va donner d’ailleurs son nom au château.

Ces très belles fontaines vont apparaître au 16e siècle et se multiplier au 17e siècle, notamment sous le règne d’Henri IV. Elles vont être remodelées, modifiées sous le règne de Louis XIV et dans le prolongement de cette fantaisie d’eau et de forêts, le grand canal offre cette grande perspective qui donne l’échelle du château et de son parc.

Cela est vraiment quelque chose qui attire et cristallise l’intérêt des artistes. Ceux-ci sont particulièrement attentifs à ces merveilles, pour certaines aujourd’hui disparues comme le jardin de l’étang sous le règne d’Henri IV – une sorte de jardin flottant posé sur l’étang avec au centre une sculpture de Michel-Ange, des parterres de broderie avec le chiffre du roi.

Le jardin régulier est vraiment le prolongement de l’architecture du château et fait partie de ses merveilles au même titre d’ailleurs qu’un certain nombre de décors intérieurs, tels ceux de l’appartement des Bains, la galerie d’Ulysse, la galerie François Ier et bien sûr, la salle de Bal, la porte Dorée, et j’en passe…

Ainsi Fontainebleau est un concentré de chefs-d’œuvre que l’on a morcelé par le biais du dessin, chaque artiste allant piocher ce qui l’intéresse, soit pour constituer de véritables sommes de dessins, soit pour garder le souvenir de ces grands ensembles, tels que les séries de gravures d’Alexandre Bétou illustrant la salle de bal.  D’autres artistes s’intéressent à la galerie François Ier et génèrent cette production d’images contemporaines des grands chantiers de François Ier : la galerie François Ier, la chambre du roi, la chambre de la duchesse d’Étampes sont gravées peu de temps après avoir été réalisées par des artistes qui travaillent directement dans l’entourage de Rosso ou de Primatice. Cela donne une aura particulière à ce foyer artistique exceptionnel !

ACF : Est-ce une manière de dire que l’épicentre historique de ce château se situe plus autour de la Renaissance et des périodes suivantes, plus que la période illustrée par la Cour des adieux de Napoléon?

VC : C’est une sorte de continuum avec des ruptures, il y a la Révolution française, puis des successions de régime notamment au 19e siècle. Mais l’épisode napoléonien s’est plus incarné dans Fontainebleau par rapport à sa dimension historique avec cette mise en scène reprise d’ailleurs par les artistes 10 ans après l’abdication de 1814, pour glorifier, illustrer un événement historique. La dimension d’histoire l’emporte sur celle d’architecture ou d’art dans cette mise en scène.

Par ailleurs, ce n’est pas forcément le point de départ non plus de la cristallisation de l’intérêt pour l’escalier en fer à cheval. Je pense que la magie que génère l’escalier en fer à cheval est quelque chose qui s’est produit plus tardivement, et qui est liée au développement du tourisme à partir de la fin du 19e siècle et le début du 20e.

ACF : comment avez-vous organisé le parcours de l’exposition ?

VC : Nous avons souhaité poser la question : « Qu’est-ce qu’un portrait de château, à quoi sert effectivement le dessin ? »

J’ai souhaité embarquer le visiteur dans une promenade de découverte des différents ensembles architecturaux et paysagers du château, fondée sur la chronologie de l’histoire de l’évolution du château.

Ainsi, l’exposition débute par la cour Ovale, le premier château à partir duquel la résidence de François Ier va se ramifier pour s’étendre sous le règne d’Henri IV et subir un certain nombre de modifications sous le règne de Louis XV et encore au 19e siècle. Cette partie intègre les représentations de la cour et les différents organes de la vie de cour qu’elle contient : la salle de Bal, la porte Dorée… jusqu’à la salle des Colonnes, qui est une création du règne de Louis-Philippe.

Les deux maquettes du château, l’une à la fin du règne de François Ier et l’autre à la fin du règne d’Henri IV, sont des éléments de repères précieux pour le visiteur.

Nous déroulons ensuite notre promenade à travers la cour des Offices, dit quartier Henri IV, puis nous passons du côté du grand Parterre pour ouvrir la vision soit vers l’extérieur sur le jardin et la forêt soit depuis cet extérieur vers le château, parce que c’est depuis le sud que l’on peut « lire » de la manière la plus complète l’étendue du château. Nous évoquons la transformation des jardins de la fin du 16e siècle jusqu’aux grands travaux d’André Le Nôtre et des petits aménagements au cours du 19e siècle pour revenir ensuite vers la cour de la Fontaine avec ses grands ensembles décoratifs qu’abritent les différents bâtiments qui la composent : l’appartement des Bains et la Galerie François Ier, mais aussi la salle de la Belle Cheminée devenue salle de la comédie, ainsi que les décors de l’appartement des reines mères.

Le château de Fontainebleau est aussi, il ne faut pas l’oublier, un lieu très vivant, et nos collections nous permettent d’illustrer un certain nombre de festivités et de réjouissances. La mise en scène des grandes cérémonies qui ont eu lieu à Fontainebleau permet d’évoquer la réception des chevaliers de l’Ordre du Saint-Esprit, la fameuse promotion de 1633 organisée par Louis XIII, ou l’arrivée des nouvelles princesses étrangères qui se marient avec des enfants de France et qui sont accueillies selon un protocole particulier, généralement à l’extérieur du château. La princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin sera littéralement accompagnée sur les marches de l’escalier en fer à cheval avant son entrée dans la famille royale.

Nous abordons après un autre ensemble majeur qu’est la cour que l’on appelle aujourd’hui d’Honneur ou cour du Cheval Blanc ou cour des Adieux en fonction des différentes périodes que l’on considère ! Cette cour avec ses grands ensembles architecturaux, dont l’aile sud, c’est-à-dire aujourd’hui l’aile Louis XV, a abrité la galerie d’Ulysse avec à son extrémité la grotte des Pins.

Nous évoquons enfin l’ancien jardin des Pins de François 1er, devenu jardin anglais et ensuite basculons de l’autre côté pour évoquer le jardin de la reine, une merveille amputée au cours du 19e siècle de sa galerie des Chevreuils et de l’Orangerie. Ce lieu a été représenté par plusieurs artistes comme la parfaite symbiose de l’architecture et du jardin classique, avec des éléments extraordinaires comme la fontaine de Diane qui en est le pivot.

L’exposition est une manière de balayer les grands ensembles, une sorte de jeu de focale où l’on va dans l’infiniment petit ou au contraire dans l’infiniment grand : comment on embrasse Fontainebleau de la manière la plus large possible, ou comment on le regarde d’une manière plus détaillée, plus pointue avec d’ailleurs ce type de représentation très particulière qui a donné son nom au terme de portrait, c’est à dire la vue cavalière. Celle-ci est une espèce de combinaison du plan et du paysage avec la représentation en élévation du château pour embrasser le domaine dans toute son étendue. Cette approche connaît un véritable engouement au cours du 19e siècle grâce à des innovations nées au 18e siècle : les montgolfières qui permettent aux artistes de prendre de la hauteur et de regarder autrement le château, c’est-à- dire de l’implanter dans son site naturel, de noter son articulation avec la structure urbaine qui se développe autour, de noter les méandres de la Seine, avec le tracé du chemin de fer. Cette élévation se prolonge au 20e siècle, même si ce n’est pas traité dans cette exposition, par ce que l’on peut faire grâce aux avions, aux hélicoptères et aujourd’hui avec les drones.

C’est donc une manière de regarder Fontainebleau aussi depuis le ciel, car ces vues cavalières étaient qualifiées de « vues à vol d’hirondelle ».

Cette approche de promenade se traduit par les choix scénographiques, en essayant d’ouvrir visuellement l’espace au maximum, avec une moquette couleur sable comme si nous étions dans les allées du parc et des jardins, avec des bancs de jardin pour permettre aux visiteurs de prendre le temps d’étudier plus à loisir les œuvres ou de consulter le catalogue. Nous avons voulu créer aussi des sortes de perspectives afin d’ouvrir l’espace pour pouvoir circuler comme si nous étions à l’extérieur et découvrir le château comme si nous l’abordions par différentes entrées.

ACF : Ce catalogue de l’exposition est un document considérable. Il reflète toute la richesse de cette exposition !

VC : Le catalogue est généralement ce qui reste d’une exposition. Celui-ci est à l’échelle de « portraits d’un château » qui va durer 5 mois au lieu des deux ou trois mois habituels, dans la mesure où nous ne présentons que des œuvres de nos collections. Ce catalogue est conçu comme une livraison au public et au lecteur du travail de recherche que nous avons mené sur les différentes œuvres présentées, et en faisant aussi le choix d’évoquer cette question du « portrait d’un château ».

Le catalogue est en vente à la boutique du château.

Ce genre un peu à part n’est ni un portrait ni un paysage mais un petit peu les deux, il s’inscrit en réalité dès la fin du 16e siècle & 17e siècle comme un soutien à la mise en place de la monarchie absolue. La représentation d’un château royal est une manière de représenter le roi et c’est pour cela que ces représentations de bâtiments connaissent un tel succès, notamment au 17e siècle. Si ce genre s’amoindrit un peu au 18e siècle, il renait d’une manière complètement différente par le travail d’érudition et la dimension archéologique au 19e siècle : tous les architectes qui sont passés à Fontainebleau ont voulu rédiger une publication et évidemment une publication illustrée, c’est le meilleur moyen de parler de Fontainebleau.

Ce catalogue est donc la présentation de cette réflexion sur cette manière de présenter Fontainebleau, en soulignant les distorsions que l’on peut observer entre le dessin d’un artiste et la réalité contemporaine du château.

ACF : quels sont vos « coups de cœur » ?

VC : J’aime beaucoup par exemple cette toute petite section consacrée aux adieux de Fontainebleau, au sein de laquelle est présenté un projet d’installation d’une statue équestre de Napoléon Ier dans la cour d’Honneur. L’architecte Abel Blouet, auteur de ce projet, représente le château non pas comme il était alors visible au milieu du 19e siècle, mais comme le château du 17e siècle. Cela interroge : soit c’est un artiste qui n’est pas venu à Fontainebleau et a utilisé le matériel graphique disponible par les publications, soit il y a une véritable intention d’inscrire ce projet de sculpture dans la continuité de cette fameuse maison des siècles et donc de traduire cette lignée entre les souverains, à la veille du coup d’État de Napoléon III.

Par ailleurs, j’aime la manière dont les artistes s’emparent soit de scènes mises au point par Rosso pour la galerie François 1er, soit des alentours décoratifs, en dissociant les deux et en les réutilisant. Cela dénote comment Fontainebleau est aussi une source d’inspiration et comment aujourd’hui on peut s’inscrire dans la lignée de tous ces artistes pour appréhender chacun à sa manière le château, c’est-à-dire être séduit par tel ou tel aspect de la demeure des rois.

d’après Israël Silvestre (1621-1691) Vue de la grotte rustique

Antoine Laurent Castellan (1772-1838) Album de vues du château et de la forêt de Fontainebleau. Vue de la cour d’honneur depuis l’angle nord-est.

De même, Jacques Rigaud, qui peut être considéré comme l’héritier de ces grands graveurs du 17e siècle tels Israël Silvestre, Adam et Gabriel Perelle. Il a édité un recueil choisi des plus belles maisons de Paris et de ses environs et a choisi d’illustrer Fontainebleau avec une extraordinaire poésie et quiétude dans cette manière de présenter soit la cour Ovale, soit le grand Parterre, soit le canal, ou encore le bassin des Cascades : on y sent un temps suspendu.

J’ai une tendresse particulière pour les dessins et surtout les gravures d’Israël Silvestre. Je trouve ses représentations du château qui datent des années 1650 particulièrement délicates, avec à chaque fois des choix de points de vue originaux, des mises en scène joyeuses, souvent avec une certaine économie dans la représentation mais qui sont particulièrement savoureuses avec ses petits personnages. il y a toujours une dimension très solaire des jardins.

Antoine Castellan est un artiste qui a su choisir des angles très atypiques ou des détails. C’est le seul artiste qui représente le pont sur le fossé, entre la place d’Armes et la cour des Princes, l’ancien abreuvoir près du pavillon de Sully, ou encore le manège de Sénarmont. Il a fait le tour du château, a passé son temps à le dessiner, à le regarder, et il nous livre des vues atypiques. En termes d’iconographie, c’est très intéressant et ça repose la question : « pourquoi choisit-on ces éléments ? »

ACF : Vincent Cochet, merci pour cet entretien si riche en détails! Quelle serait votre votre conclusion en une seule phrase ?

VC : « APPRENONS, COMME TOUS CES ARTISTES AVANT NOUS, A REGARDER LE CHATEAU DE FONTAINEBLEAU ! »

Images : crédits photographiques RMN-Grand Palais (château de Fontainebleau)

Abonnez-vous pour être averti de nos nouvelles publications!

mis en ligne le 15 décembre 2023