Pie VII acteur dans la cour Ovale prise pour scène de théâtre : une anecdote « historique » de l’Empire peinte sous la Monarchie de Juillet
Pierre-Achille Poirot (Alençon, 1797-Paris, 1852) : Vue de la cour du donjon au palais de Fontainebleau (titre du livret du Salon de 1843). Huile sur toile, 66 x 97,5 cm. Signé et daté en bas à gauche : « A. Poirot 1843 ». Préemption de l’Etat. Inv. 2018.
Pierre-Achille Poirot, architecte de formation et peintre topographe, exposa régulièrement de 1839 à sa mort au Salon des artistes vivants tenu au Musée royal des arts au Louvre. Il présenta en 1843 une œuvre sous le numéro 962 intitulée « Vue de la cour du donjon au palais de Fontainebleau ». Ce tableau est une vue topographique d’une grande fidélité, détaillant la moitié de la cour Ovale. Le point de vue, pris depuis le vieux donjon capétien, embrasse la colonnade, l’avancée du portique dit « de Serlio », la porte du Baptistère dans l’axe médian de la composition, la cour « des cuisines » à l’arrière-plan, le pavillon dit du Tibre et les quatre baies factices édifiées par Henri IV à l’imitation et dans le prolongement de celles de la salle de Bal d’Henri II, masquant la façade de la chapelle Saint-Saturnin dont émergent deux clochetons ajourés.
Cette vue rigoureusement topographique, peinte par un architecte au relevé précis, est aussi une scène « historique » purement imaginaire. La Monarchie de Juillet, régime né des barricades et féru de peinture d’histoire, était avide de composer un répertoire des « Fastes de Fontainebleau ». Ce palais multiséculaire, haut lieu d’ancrage monarchique quelle que fût la dynastie, devint un immense chantier où l’historicisme s’en donna à cœur-joie à grand renfort de carton-pierre, un théâtre monumental où plaquer un décor, une scène où convoquer des figurants.
Les peintres ne voulurent point être en reste et mobilisèrent leur pinceau. Poirot, soucieux de véracité apparente, peupla sa toile de personnages en costumes du Premier Empire et répartit personnages et accessoires en plusieurs groupes dans la cour Ovale. A gauche, dans l’ombre, c’est une lourde voiture et des serviteurs portant la livrée verte de la Maison de l’Empereur. A droite, en pleine lumière, en un contraste accusé, c’est le pape, accompagné d’un officier et d’un religieux, donnant sa bénédiction à des fidèles agenouillés. Le livret du Salon de 1843 détaille ainsi la scène : « Le pape Pie VII, au retour d’une promenade, donne sa bénédiction à des enfants malades » – trait de charité plausible pour une anecdote de pure invention.
Grâce à l’acquisition de cette scène fictive, la captivité de Pie VII au palais impérial de Fontainebleau, devenu «geôle dorée » de juin 1812 à janvier 1814 -le souvenir en est encore prégnant par la toponymie même -, sera aussi évoquée désormais par un tableau d’histoire présenté au Salon à Paris et exposé à Fontainebleau 176 ans plus tard, d’abord dans la salle des Fastes le temps de l’exposition « La Maison de l’Empereur » (13 avril -15 juillet 2019) puis dans l’ « Appartement du Pape » –cadre de vie luxueux et contraint où le pontife captif vécut reclus, sans que vînt le visiter aucun enfant malade à qui donner sa bénédiction.
Christophe Beyeler, conservateur en chef du patrimoine chargé du musée Napoléon Ier au Château de Fontainebleau