C’est un joli tableau : le Tsar Pierre le Grand, bousculant le protocole, embrasse fougueusement le petit Louis XV, âgé de sept ans pour le remercier du bref compliment que le jeune roi lui a récité, car le Tsar est en visite la France durant deux mois, entre avril et juin 1717 pour s’inspirer de ce que la France a de plus remarquable et l’adapter à son immense pays. Avide de tout ce que le royaume peut lui offrir comme distractions prestigieuses, entre plusieurs visites à tonalité scientifique ou culturelle, il souhaite, quelques heures, « vivre en roi, c’est à dire chasser ».
Le 30 et 31 mai il vient à Fontainebleau accompagné du Grand Veneur, le Comte de Toulouse. Pour chasse, quoi de mieux que le domaine royal des souverains, « témoin de leur faste et de leur magnificence » (G. Tendron). En 1717, à l’aube de la grande passion que Louis XV portera à la chasse, l’art cynégétique a atteint un haut degré de raffinement dont témoigneront, vingt ans plus tard, les grands tableaux d’Oudry peints « sur le motif » pourrait-on dire. Peu à peu, les grands principes de la pratique de la chasse à courre ont été codifiés à travers les ordonnances des monarques successifs. La gestion des espaces dévolus à la chasse et le bornage de la forêt, la composition des équipages et des meutes, les habits de veneurs (le justaucorps bleu de roi galonné d’or est la tenue de la vénerie royale fixée dès 1661 par Louis XIV), et même la longueur des trompes se trouvent définis, sous la responsabilité du Grand Maître des Eaux et Forêts pour ce qui concerne la forêt et du Grand Veneur pour les équipages et la chasse.
Le Mercure de France rendit compte de cette visite d’une façon optimiste « Il monta les chevaux de Monsieur le Comte de Toulouse qui se trouva à cette chasse. Elle fut si vive que le cerf fut forcé en moins d’une heure et demie. Le Tsar, qui n’avait jamais pris ce plaisir royal en partit fort content et fit à Monsieur le Comte de Toulouse toutes les sortes d’honnêtetés imaginables » (cité par Jacques Barot). En réalité, le Tsar trouva cet exercice violent et « il ne s’y divertit point », et s’il eut grand plaisir à converser avec le Comte de Toulouse, « il ne fut pas charmé par Fontainebleau » (cité par Dangeau).
Cela n’empêcha pas que le séjour de Tsar fut d’une immense importance politique, économique et culturelle, manifestée par un large accord diplomatique. Un projet de mariage entre le jeune Louis et la princesse Elisabeth fut évoqué mais…sept ans plus tard, c’est une princesse venue de Pologne et non de Russie qui épousa Louis XV dans la Chapelle de la Trinité.
Hélène Verlet
Vignette : Cerf aux abois dans les rochers de Franchard. Jean Baptiste Oudry. Huile sur toile Château de Fontainebleau. Cr.photo J.P Laglewsky