UNE INTERVIEW EXCLUSIVE DE VINCENT COCHET, CONSERVATEUR EN CHEF DU PATRIMOINE AU CHATEAU DE FONTAINEBLEAU
Amis du Château de Fontainebleau :
Vincent Cochet, Bonjour! Nos lecteurs vous connaissent bien. Vous êtes conservateur en chef du patrimoine au château de Fontainebleau, et aujourd’hui commissaire avec Oriane Beaufils de l’exposition « Oudry, peintre de courre. Les Chasses royales de Louis XV ».
Tout d’abord une question de béotien : un peintre de « courre » qu’est-ce que cela signifie?
Vincent Cochet : À travers ce jeu de mots, nous avons voulu insister sur une dimension tout à fait particulière de l’art de Jean-Baptiste Oudry, à savoir l’illustration de la vénerie de Louis XV, à travers ses projets pour la réalisation de la tenture des Chasses royales. Donc courre « c-o-u-r-r-e », au sens d’un « laisser courre », renvoie à la chasse aux cerfs pratiquée par Louis XV, et en même temps, par cette commande tout à fait exceptionnelle des modèles pour la tenture des Chasses de Louis XV, cette dimension de peintre de Cour, au sens de société proche du roi.
Jean-Baptiste Oudry, peintre d’histoire est aussi peintre ordinaire de Louis XV œuvre pour les résidences de la Couronne aussi bien en livrant des tableaux qu’en réalisant des modèles pour des tapisseries.
ACF : Jean-Baptiste Oudry n’est pas forcément connu du grand public. Pouvez-vous nous brosser le portrait de ce peintre et sa place dans l’histoire du XVIIIe siècle.
VC : Jean-Baptiste Oudry est un peintre parisien qui est reçu à l’Académie royale de peinture et de sculpture en 1719 comme peintre d’histoire. Il est donc reconnu comme apte au genre le plus noble, c’est à dire la peinture de scènes religieuses, de mythologie, d’histoire antique ou d’histoire vivante. Cependant, il choisit de se consacrer à la peinture animalière, peut être aussi pour des raisons commerciales. Remarqué par des grands personnages qui gravitent autour de Louis XV, il accède ainsi à des commandes royales dont les plus importantes sont, au départ, les portraits des chiens de Louis XV.
J.-B. Perronneau, Portrait de J.-B. Oudry, Musée du Louvre, département des peintures. ©GrandPalaisRmn (musée du Louvre) / Franck Raux.
Louis XV voue une affection tout à fait particulière aussi bien aux chiens dits de la chambre, qui vivent auprès du souverain, que les chiens courants, c’est-à-dire les chiens de la vénerie. Jean-Baptiste Oudry réalise des portraits de ces chiens qui sont destinés à orner le château de Compiègne, résidence tout à fait importante dans le cadre de l’exposition, puisque la tenture des Chasses dont Oudry donne les modèles est destinée à cette maison royale.
ACF : Le lecteur pourrait-il penser que cette exposition concerne seulement la chasse et la vénerie sous le règne de Louis XV?
VC : Pas tout à fait! En réalité la chasse n’est pas le sujet principal de cette exposition. Celle-ci aborde la peinture à sujets cynégétiques et le développement des grands décors intérieurs sur le thème de la chasse, dont la tenture des Chasses de Louis XV constitue l’apogée au XVIIIe siècle.
ACF : Et ces tapisseries existent toujours….
VC : Jean-Baptiste Oudry reçoit une commande en 1733 pour la réalisation de trois modèles, nombre qui est porté à neuf en 1736. L’artiste livre ces compositions les unes après les autres pendant 13 ans : le dernier modèle ne sera achevé qu’en 1746! Et ces modèles servent dès 1736 à la réalisation de tapisseries à la manufacture des Gobelins par deux ateliers. Une seconde édition de la tenture est lancée en 1742 et acquise par le gendre du roi, l’infant don Philippe de Bourbon, duc de Parme. Ces deux tissages expliquent que l’une des tentures, celle de Louis XV est conservée dans les collections nationales françaises (château de Compiègne) et que la seconde, envoyée à Parme, se trouve conservée en Italie (Florence, Palazzo Pitti).
ACF : Que représentent ces cartons?
VC : Les neuf cartons de la tenture des chasses de Louis XV représentent une sorte de grand laisser courre de l’équipage royal. Oudry est invité par Louis XV à suivre la chasse pour réaliser ses compositions, veillant à étudier le paysage des domaines royaux : sept cartons ont pour cadre la forêt de Compiègne, un la forêt de Saint-Germain et un dernier la forêt de Fontainebleau. Il s’agit véritablement d’une mise en scène du règne de Louis XV à travers la passion de ce jeune souverain. Le roi n’a alors que 23 ans lorsqu’il passe la commande à Oudry des cartons et la chasse est pour lui une espèce de succédané de l’art de la guerre. Le jeune Louis XV n’a pas encore fait ses preuves sur le champ de bataille mais sa gloire est célébrée à travers cet exercice le plus noble de la chasse au cerf avec un équipage extrêmement brillant.
En effet, on peut dénombrer pour la fête de la Saint-Hubert, généralement organisée à Fontainebleau, jusqu’à 600 chiens et 500 chevaux, ce qui est absolument colossal. La tenture des Chasses est une illustration magistrale de la majesté royale dans cet exercice de plein air.
ACF : En visitant cette exposition, on comprend que la restauration de ces cartons a été un travail de grande ampleur! Que peut-on en dire, où étaient ces cartons? Comment ont-ils été restaurés?….
VC : Ces cartons de tapisserie de Jean-Baptiste Oudry restent dans les réserves de la manufacture des Gobelins jusque dans les années 1820. Et ce n’est que sous la Restauration que l’on décide d’orner avec ces cartons un appartement réservé au duc d’Angoulême, le fils du futur Charles X, à Fontainebleau. Ils retrouvent ainsi le statut de « grands tableaux », c’est-à-dire d’un grand ensemble décoratif valant par lui-même. Il faut attendre 1835 pour que ces cartons soient insérés dans les lambris et que l’on compose un décor complet dans cet appartement qui devient « appartement des Chasses », du nom de cette série de modèles qui, il ne faut pas l’oublier, servaient au tissage de tapisseries.
Cependant, en dépit du soin qui leur a été apporté la manufacture des Gobelins – ces œuvres sont payées 6 000 livres chacune à Jean-Baptiste Oudry -, ils ne sont pas forcément en très bon état lorsqu’ils arrivent à Fontainebleau.
Ils subissent en conséquence une série de restaurations au cours du XIXe siècle et après la Seconde Guerre mondiale, de multiples interventions sont menées sur ces cartons, consistant bien souvent à maquiller des lacunes, à reprendre des repeints désaccordés et les vernis oxydés.
Dans le cadre de cette exposition, nous avons effectué une restauration fondamentale de quatre des huit cartons que le château abrite. Cette opération a nécessité la dépose des tableaux et la reprise des supports. Pour certains, il a fallu remplacer les anciens rentoilages, une sorte de doublage au revers de la toile, et pour d’autres, comme Louis XV menant le limier, une reprise d’une transposition.
ACF : Qu’est-ce qu’une transposition ?
VC : On parle d’œuvres transposées quand la couche picturale a été complètement déplaquée de sa toile d’origine pour être recollée sur une nouvelle toile. C’est une opération traumatisante pour l’œuvre et particulièrement délicate. Une des transpositions réalisées probablement sous Napoléon III a été complètement reprise, ce qui signifie la suppression progressive, par le revers, de la toile, des enduits et des gazes formant le support de l’œuvre et leur remplacement par de nouvelles gazes et des enduits assurant la bonne adhérence et la planéité de l’œuvre, avant un doublage par une nouvelle toile. Outre un soin particulier, ce type d’opération réclame aussi du temps : la restauration des quatre cartons est un chantier qui s’est déroulé pendant à peu près 3 ans!
ACF : Quand ces importantes restaurations seront elles achevées ?
VC : Aujourd’hui, nous présentons dans le cadre de cette exposition quatre cartons restaurés sur les chasses de Jean-Baptiste Oudry. Le château en abritant huit ; nous sommes donc au « milieu du gué » et il est bien sûr tout à fait souhaitable de poursuivre sur notre lancée. Nous aurons la possibilité d’envoyer en restauration le dernier carton de la série qui s’appelle Le Forhu ou La Petite Curée en 2025.
Mais trois autres tableaux attendent leur tour, dont celui situé dans l’escalier de la Reine : large de plus de 10 mètres, cette peinture de plus de 30 mètres carrés sera l’objet d’une opération très complexe, tant par sa dépose que par le choix d’un lieu suffisamment grand pour l’accueillir dans le cadre de sa restauration.
ACF : il n’y a pas que des peintures dans cette exposition….
VC : En effet, l’exposition se clôt avec une petite section que nous avons appelée « Oudrymania » Elle souligne l’importance des créations de Jean-Baptiste Oudry, notamment des combats d’animaux ou des mises en scène mêlant des humains et des animaux à travers les Fables de la Fontaine. On s’aperçoit à quel point ses œuvres ont irrigué d’autres domaines de la création au cours du XVIIIe siècle et plus particulièrement les arts décoratifs.
J.-B. Oudry, Bois bizarre d’un cerf pris par le roi. Château de Fontainebleau. ©GrandPalaisRmn (Château de Fontainebleau) / Gérard Blot
Ainsi nous sommes particulièrement heureux de présenter cet incroyable centre de table qu’on appelle un « surtout », fait de 40 kg d’argent massif. Commandé par Louis-Henri de Bourbon pour Chantilly, il ornait la table lors d’un déjeuner offert par le prince de Condé à Louis XV. C’est une pièce tout à fait extraordinaire qui reprend, en ronde-bosse et avec une ciselure d’une qualité époustouflante, des compositions de Jean-Baptiste Oudry : un cerf aux abois affublé d’une tête bizarre sur l’arche de rochers, et en dessous, sur la terrasse, un loup pris au piège.
ACF : Quels sont les mécènes qui soutiennent cette exposition aussi gigantesque ?
VC : Nos mécènes sont aussi bien des amateurs de peinture du XVIIIe siècle que des amateurs de vénerie et de la forêt. A ce titre, nous avons reçu le soutien de la fondation du Crédit Agricole Brie-Picardie, celui de la fondation François Sommer, qui possède le musée de la Chasse et de la Nature à Paris, celui du Rotary Club de Fontainebleau, celui de quelques particuliers et bien sûr celui des Amis du château de Fontainebleau !
ACF : Merci Vincent Cochet pour toutes ces précisions. En conclusion quelle serait LA bonne raison pour convaincre nos Amis de se précipiter dans cette exposition qui sera close le 27 janvier 2025,
VC : Il faut accourir à Fontainebleau pour voir cette exposition, car elle est l’occasion unique d’admirer rassemblés à la fois les cartons restaurés et toute une série de dessins plus extraordinaires les uns que les autres. Jean-Baptiste Oudry présentait les compositions de ses cartons au roi et sur les neuf cartons, nous avons la chance de présenter six dessins, ce qui est absolument exceptionnel !
Et c’est aussi une occasion unique de pouvoir comparer les dessins avec les cartons, mais aussi les cartons avec les tapisseries et les tapisseries entre elles, puisque nous avons réuni des pièces des premier et second tissages. Il s’agit d’une immersion dans la fabrique d’un chef-d’œuvre.